Rosa Bruno Di

Desseins - Bruno Di Rosa
 [un écho ici, et ici]

Un soleil imaginaire sur un ciel adoré.

On est obligé de douter de la présence du dieu grand quand durant des mois on ne voit que des nuages sur la terre, quand on n'est pas sûr que le soleil se lèvera un jour et que, de tous les soucis du quotidien, celui de casser du bois s'impose plus fort que tout. Chez nous on ne casse plus vraiment du bois parce que le bois on l'a déjà tout brûlé mais on travaille pour payer les loyers élevés des maisons bien isolées et le chauffage central qui consomme les gaz de l’Asie, le pétrole du Moyen Orient ; ça nous occupe beaucoup, une grande partie de la journée est consacrée à économiser pour ne pas mourir de froid. Cela implique toute une philosophie, une attitude particulière et ce n'est pas étonnant si le protestantisme a eu du succès dans les pays nordiques ; il faut se serrer les coudes, se replier en des lieux bas de plafond, noirs des fumées et investir pour se réchauffer si bien que tous luxes décoratifs sont proscrits.
Dans les pays du Sud c'est tout l'inverse, jusque dans certaines îles du Pacifique, où il fait toujours chaud, là les hommes se font graver sur la peau, du cou au nombril, un terrible Christ bleu ; puisqu'ils vivent toujours torse nu. Tout est extérieur dans les pays du sud et les églises, à l'intérieur, doivent ressembler au jour qui illumine la terre ; aussi, les plafonds en or, les marbres blancs et les vitraux sont ce à quoi on pense, bien sûr.
Dans le Sud on doute éventuellement de l'absence de Dieu, alors que dans le Nord on doute de sa présence. Car dans le sud tout parle du dieu, tout le temps, puisque le soleil se lève tous les jours ; et si un jour l'orage gronde c'est que le dieu n'est pas content.
Personnellement depuis quelques années j'habite dans le Nord et le mauvais temps, je dois le dire, me réduit en cendre… Quand des jours durant une pluie plus ou moins grasse, plus ou moins froide, limite l'espace à rien, comment espérer quelque chose ? Si bien que les seuls soucis, comme je le disais plus haut, sont d'avoir assez d'argent pour payer les factures qu'une vie abritée implique. Puis, évidement, comme on est reclus chez soi et qu'on ne voit pas d'avenir dans l'espace brumeux on a besoin de beaucoup de moyens de communication, et c'est un, deux, trois téléphones, ordinateurs et Internet, Minitel, vidéo et tout le bazar qu'on songe à acheter. C'est bien dans le Nord qu'on a inventé l'imprimerie, évidemment.
Chez moi – puisqu'il faut dire les choses comme ça – les bars ressemblent à des grottes : On y entre par une petite porte, les murs sombres sont entièrement recouverts d'affiches et on y avale de grandes chopes de bière noire – c'est dégueulasse, ça ressemble à de la soupe à l'oignon froide – enfin bref… Elle est terrible la vie dans ces pays parce qu'on est toujours tassé quelque part ; finalement on s'endort la tête sonnée, sonnée par l'alcool et le tabac. L'espérance est à chercher ailleurs, l'ailleurs se trouve nulle part.
Il y a longtemps j'ai habité dans les îles, où les hommes vivent la tête en bas. Il n'y avait pas grand chose à faire là-bas en ce temps ; on y allait généralement pour fuir son pays parce que pour x raisons on en était rejeté, on ne pouvait plus y vivre ; parce qu'on n'avait pas réussi à s'intégrer et à se plier aux règles qu'impliquent les notes de chauffage.
Je garde peu de souvenirs de la vie que j'y ai menée, peu parce que je n'ai rien fait de particulier ; il n'y avait rien à faire à vrai dire et je n'ai donc rien fait. C'est même ce qui m'en a fait partir ; j'étais jeune, alors, et ambitieux. Les seuls souvenirs qui me restent et me restent gravés comme des images sacrées sont les heures passées devant la mer. Les vagues sont discrètes, elles ne dépassent jamais des mesures décentes, les marées également n'exagèrent pas leurs mouvements. Tout est toujours là. Des heures assis, sans rien voir, sans autre joie que de rester, alors que le soleil, le disque de feu, glisse doucement derrière la mer ; on a la paix au cœur car l'assurance est inscrite dans sa descente qu'il sera là demain. Puis le matin, Ô bonheur éternel ! Alors que l'on s'éveille dans une lumière bleue turquoise, la douce chaleur nous touche, tendre, et nous grandit… C'est sans aucun doute qu'on ouvre les yeux ; tout est en place depuis toujours.
Qui peut douter quand la longue vague s'affale et se relève à la fois, molle et sûre à la fois ; qui peut douter un seul instant de vivre sur la terre, vis à vis du soleil, dans l'univers étoilé ? Qui peut douter ?
Personne, et l'assurance alors nous grandit. On marche sur la terre, on est homme à ce moment-là, homme comme le sable est sable, comme la mer est mer ; on est homme et on sait absolument ce que cela veut dire.

 


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Il y a un ciel là-haut qui pèse plus lourd que la terre, des nuages sans forme, une multitude de mouvements chaotiques que l’on surveille avec inquiétude car du ciel immense tout peut arriver ; il y a des formes diverses que l’on regarde avec curiosité ; des hommes et des femmes sur terre qui vont et qui viennent sans que l’on comprenne ce qui les motive ; des abattements et des ruines, des constructions sur les ruines, des résistances étonnantes puis des relâchements subits ; il y a un soleil unique au rayons multicolores, des airs de déjà vu alors que l’on ouvre les yeux pour la première fois ; il y a la montagne et ses hauts sommets qui ne changent pas, des sommets perdus dans l’espace, puis des cols ouverts qui permettent le passage ; il y a des rigoles dans les champs quand la pluie est tombée drue, qu’elle a cessé et que l’on sort enfin ; il y a des chemins dans les bois, des routes tracées au hasard des constructions, des voies ferrées allant en un point défini suivant un plan précis que rien n’arrête ; il y a des lacs aussi pleins d’une eau profonde et grise, le temps froid qui crépite, rouge et sans soleil, l’eau qui gèle, une lumière sans source, une source qui perce sous la neige, la neige qui fond, s’égouttant des toits et des arbres ; des arbres qui tombent à moitié, des courants d’air dans les branches provoquant un frémissement étrange ; il y a des mains qui touchent les choses, des choses dans les mains qui prennent alors un sens et se transforment en outils ; il y a des gestes qui suivent une idée mais quelques fois ils semblent n’être plus contrôlés et font d’étranges figures qui peuvent même arriver à nous faire honte ; il y a des haies et des murets le long des champs, des haies et des murets qui divisent l’espace en parcelles et des bêtes de somme qui paissent sans regarder au-delà ; des animaux qui boivent, des chiens qui montent la garde ; il y a des oies dans le ciel qui scient l’espace en des temps définis, allant puis revenant et leurs allers et venus semblent nous dire quelque chose – Au point que des hommes ont cherché à lire leur vol de même que dans le sang d’un coq ou dans la cervelle d’un agneau – il y a des partis pris, des mouvements de foule, des questions cent fois reposées qui ne trouvent jamais la paix – leur place – il y a des tombes qui accueillent nos morts parce que nous ne sommes pas bien sûr de leur état de mort et que nous nous inquiétons pour eux autant que pour nous ; il y a des lits creux qui nous englobent tout entier ; des mains jaunies par la lumière trop vive ; des récits qui nous aident non à comprendre mais à croire ; des réflexes aussi qu’on aimerait mieux ne pas voir, des frustrations qui créent des aigreurs et des manques ; il y a des essoufflements, des étourderies, des mouvements mal assurés qui impliquent toute une chaîne de conséquences : griefs, douleurs, désespoir, vengeance, calomnie ; il y a des impuissances également, des abandons, des découragements terribles que rien ne peut consoler, relever, rien et il y a la force qui pousse les uns et les autres à se lever puis la lâcheté que l’on juge mal mais que l’on conçoit facilement et heureusement il y a des joies sans raison et de bonnes raisons de se lever le matin ; il y a ceux qui sont aidés, portés, encensés, pour qui tout semble donné d’avance et qui font avec souplesse ce que d’autres ne peuvent pas même envisager ; il y a des journées sans réel avenir et des avenirs qui se révèlent en un instant ; il y a des attentes sans fin, des fins qui se font attendre ; il y a une valeur en plus à la valeur, une valeur en plus qui ne se mesure pas et qu’on estime et qu’on rend en serrant les bras ; il y a des paroles aussi qui rendent la pareille, redisant ce qui se trame, ce qui se tait ; il y a de jour comme de nuit une multitude de corps qui s’étreignent sans penser aux lendemains mais qui mènent parfois à des lendemains qui bouleversent leurs plans ; des attirances particulières auxquelles on ne peut échapper ; des amours étranges, des assemblages hétéroclites, des mélanges hétérogènes qui nous forcent à sortir de nous-mêmes et à entrevoir d’autres histoires que la notre ; il y a des veines sur les mains qui prennent du relief avec le temps et des rides au front, des gestes plus lourds que d’autres qui en disent long sur celui qui les fait ; il y a un cœur qui bat dans le corps, un sang qui circule, des poches aspirantes et expirantes , il y a un cerveau qui vibre, une peau qui recouvre l’ensemble et le tout est une activité que l’on nomme Vie.

Bruno Di Rosa - Rennes - 19 février 2009
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