2 janvier 2010 - Marc Perrin
 [un écho ici, et ici, et ici]

 

 

ce qui va
et passe
passe devant, passe
ce qui va
et tient
[lente approche
d’une nouvelle danse
d’un nouveau chant]

dans les espaces entre

 

 

face à l’étendue
muette
face à l’étendu de l’espace dont nulle fin visible
dans la lumière
au bord du vide
sans la parole
enfant [un livre d’enfant, une salle de classe, une salle vide, une salle qui se remplit, un espace qui grandit, ils sont bien sages, c’est le matin, ils sont de plus en plus nombreux, c’est la nuit maintenant, c’est une nouvelle nouvelle place dans l’espace : c’est un lieu d’où vivre le monde tout autrement, c’est en même temps un temps très intérieur et tout l’espace derrière qui s’ouvre : la ville : ici aujourd’hui, Nantes, c’est un lieu clos ouvert sur le monde, c’est un jour]
avec le regard qui sait ce qu’il voit
avec le regard qui ne trompe pas
avec le regard qui sait ne pas voir tout
avec le regard qui sait savoir peu
juste avant le vide
juste avant le saut

déjà depuis longtemps dans l’infini
ivresse inédite
déjà dans le saut
déjà dans le vide

dans le vertige depuis longtemps
dans la vitesse animant le vertige
un corps ouvert

 

 

sans les livres
après les livres
avec les livres
vivant dans l’oubli des anciens
vivant dans l’inutile oubli
vivant avec eux

ouvert dans un combat sans refus
corps ouvert dans l’ivresse de chaque nouveau geste
ouvert un corps ouvert


 

articulant chaque mot
vivant chaque mot comme un pas

poursuivant la marche de pas en pas
chaque pas : pas du tout comme un mot
chaque jour : pas du tout comme une phrase
articulant : un mouvement sans fin vers l’adéquat

avançant, avançant
chaque jour avec un nouvel air pour continuer

avançant vers l’ouvert

 

 

poursuivant le tracé d’une ligne fragile
incessamment
obstinément
avec amour
bonjour

 

 

déjouant les liens anciens
défaisant les vieilles règles des vieux combats
esclaves et maîtres adieu

aujourd’hui fleuve inédit


...

 

dans une attente
par laquelle perdre enfin tout
avec le ciel espace néant au-dessus
avec dans les poches les dernières pièces d’argent avant la nouvelle monnaie
avec la tête
avec les animaux
dans la ville
dans la nuit
avec un chien qui accompagne et vient en aide quand nécessaire
avec un corps pas seulement animal
avec l’envie de rendre tout
ce qui a été
trouvé
ce qui a été
donné
avec l’espace autour néant habité
jouant sans soucis de gagner
rejouant sans soucis de faire
travaillant sans crainte d’oublier
travaillant léger, léger
rires
travaillant à oublier
travaillant
sans rien avoir à gagner
pensant à l’espace autour
sans penser pensant le partage des idées contre le partage des corps
sans penser pensant le partage des corps comme le partage des idées
dans la très grand soif
dans le très grand froid
dans la plus vive lumière
[lire = silence, je répète : lire = silence, ramenez-vous, je glisse, venez tous, venez glisser, venez glisser (entre parenthèse, juste un instant)]
dans la très vive altération
dépensant les dernières pièces d’argent
étant tout entier occupé par la dernière phrase du maître
délivrant la dernière phrase

 

...

 

derrière une membrane
séparant le corps du monde
le corps
les yeux
la parole
un seul monde

présence du corps dans un seul monde
simultanéité de la présence des corps
simultanéité de la présence des mondes
multiplicité
connexion permanente
multiplicité des mondes et des corps en train de vivre
connexion permanente

l’État : n’est pas un monde
les corps ne sont pas des images
les corps sont des mondes avec des yeux, une parole, des bras, des jambes, un sexe
chacun
et ce que j’oublie
et ce que je ne vois pas
et ce que l’impossibilité à tout voir ou à tout dire ou à tout lire
me fait voir
me fait dire
me fait lire
me fait :
avec espace et temps et corps tels qu’avec eux je
tels qu’avec eux chacun
tels qu’avec eux nous
entre tel et tels et avec tel et tels

sentir
écouter
toucher
étreindre
pénétrer
danser marcher courir

solitude joie vers toi
sans retour possible
ivresse

animal

 

...

 

il n’y a rien de caché dans la terre
c’est à la surface que les corps sont actifs
c’est à la surface que les corps se parlent
c’est à la surface que les corps se sentent
c’est à la surface que les corps s’écoutent
c’est à la surface que les corps se touchent
c’est à la surface que les corps s’étreignent
c’est à la surface que les corps dansent et marchent et court
regarde ils volent
où sont-ils
où sont-ils
où sont-ils

 

...

 

c’est l’immensité, c’est l’infini, c’est tout
c’est l’enclos, c’est le fini, c’est tout

 

...

 

c’est à la fois dans la trachée l’air et la parole
c’est une voix nécessaire qui sort afin que le corps respire
c’est une voie nécessaire par laquelle entre et sort un corps
c’est l’intérieur des cuisses et la peau
c’est une affaire de langue et de lente venue
c’est l’intérieur d’une affaire


...

 

c’est si léger, c’est à peine
ainsi ça s’envole ainsi ça vit

 

...

 

c’est
inondé par le plaisir
ce corps n’est plus un corps il est
inondé par l’intensité d’un calme
inédit
ruisselant dans l’abandon ce corps est un corps
il
reste un corps il excède
le corps
par le plaisir
oui
il excède oui qu’il excède

 

...

 

J’aime travailler
J’aime être l’esclave de ce que j’aime
J’aime prendre des chaînes et m’enchaîner à mon amour
J’aime parler déchaîné en faisant l’amour
J’aime avoir quatre ans et les yeux clos en faisant l’amour
J’aime ce voyage et ce silence
J’aime ton sexe en voyage dans ce silence
J’aime ton sexe en voyage dans cet éclat
J’aime cet éclat dans ton sexe

 

...

 

deux voix, deux corps légers et vifs
chantent et dansent font l’amour
ou

 

...

 

là où il le faut
un lieu où la question ne se pose plus

là où il le faut
la réponse par les corps

 

...

 

où que tu regardes alentour, désormais
des éoliennes, et plus aucun crucifix

 

...

 

c’est quand je le dis à voix haute que je comprends ce qui est écrit
c’est quand je le dis à voix haute que le son vient et que son et voix révèlent un sens que j’étais incapable d’entendre dans le muet

 

...

 

je ne comprends pas
je ne peux pas t’en parler
je voudrais t’en parler
je suis venu pour ça tu sais peut-être on pourrait faire autre chose
oui oh oui autre chose
je ne comprends pas
je ne comprends pas
j’aime ça
je crois que c’est ça

 

 

ce qui tient dans ce qui cherche

 

...

 

et nous défaisons la vieille trinité car elle n’est pas défaite
nous défaisons la vieille dialectique car elle n’est pas défaite
nous défaisons la vieille identité car elle n’est pas défaite
nous ne sommes ni un ni deux ni trois
nous arrêtons de compter

 

 

dans les murs et dans le sol de la fonderie
des trous
des barres de métal qui sortent du béton
l’envie de jouer
de venir jouer
je viens jouer
je joue
ici
entre zac et autoroute
dans les ruines du bâtiment abandonné
mémoire d’un peuple dans les trous
et l’hypermarché
dont l’enseigne éclaire à la ronde

 

 

libre avec ce dont il ne veut pas se défaire

libre avec ce à quoi il croit
ce dont il ne peut se défaire et qui n’existe pas

libre si ça existe

 

 

réponse
par ton corps
avec les lettres des mots qui formaient la question tu formes d’autres mots pour une réponse qui ne peut se lire que dans le temps de ton corps se déplaçant de lettre à lettre écrivant la réponse par la seule marche à la surface de la terre

 

 

dans cette maison sombre
le corps d’un enfant qui veut chanter
dans le vacarme des machines
les murs fragiles d’une demeure
au dehors : tout tremble
les murs fragiles d’une demeure dont tout tremble au dedans
le chant
est ce moment où la voix quitte le corps
le chant
est ce moment où la voix vibre dans le monde
le chant
est un cristal très calme
impensable dans un monde impensé
le chant
est un impensable
le monde vibre

 

 

c’est le fil tendu
chaque jour
c’est un nouveau fil
c’est chaque fil de jour en jour tissant un maillage pas fait pour durer
c’est heureux
à chaque fil c’est heureux

 

 

il voit
il sent
il veut
il ne sait pas
il saura
il dit :
savoir est un acte au futur

 

 

les deux enfants jouent devant le mur de la maison
ils tracent dans la terre sèche des routes par lesquelles ne pas revenir
ils inventent un nouveau jeu le lendemain

 

 

la porte, celle de la maison
des pas, dehors
la porte, celle de la voiture
la clé
le contact
le moteur
la route
les bruits intérieurs
l’habitacle
la voiture qui ralentit
le moteur que l’on coupe
la porte
les bruits de pas dans une forêt
la marche dans la forêt
un lieu
un lieu dans la forêt
un arrêt
un silence

et maintenant, quelle arme ?

 

 

Nos murailles, maintenant, nos contours et les parcours qui vont de nos corps à nos corps, les partances, les courses et finalement les frayeurs enjouées, oui, nous disons oui : à la frayeur enjouée nous disons oui.
Nous sommes désormais chacun ce corps disponible à la plus belle des frayeurs : offerte à ce qui va : d’un cœur à un cœur, de multitude en multitude, de corps en corps : ici : multitude de nos cœurs : voyez-vous ces petites bulles qui s’échappent de nos têtes ? Voyez-vous ? Oui. Nous voyons. Oui. Nous sommes ce corps très multiple dans les petites bulles d’air libre qui s’échappent de chacune de nos têtes. Nous sommes cette basse continue qui dans les allées et venues et dans les déplacements dessinent des trous par lesquels nous parions : il existe au centre, il existe aux périphéries, il existe par la multiplicité des centres : un vertige dans lequel nos corps ouvrent les lieux.

Marc Perrin - Nantes - 2 Janvier 2010
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